Suivez-vous votre intuition ?
6 septembre 2023Compétences émotionnelles
21 septembre 2023Par cette citation, Socrate sous-entend que l’esprit humain vit dans l’illusion permanente : nos perceptions et nos pensées déforment constamment notre réalité et par conséquent nous ne pouvons rien savoir de stable ni de définitif !
Qu’est-ce que l’ultracrépidarianisme ? L’origine de ce mot viendrait d’une anecdote racontée par un écrivain, Pline l’Ancien (23apJ.C., 79 ap. J.-C.) au sujet d’une critique sur une peinture d’un personnage où la représentation des chaussures n’était pas parfaite. Et comme je suis une passionnée d’art, cette anecdote m’a interpelée !
Ce mot vient d’une expression latine « SUTOR NE SUPRA CREPIDAM » qui veut dire « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure ». En clair : un cordonnier de passage devant la toile de l’artiste fait une critique au sujet des chaussures, le peintre corrige alors sa peinture. Puis le cordonnier poursuit sa critique sur le reste du corps. Le peintre lui dit alors : « SUTOR NE SUPRA CREPIDAM » : Je veux bien corriger la chaussure dit le peintre, parce que tu es cordonnier mais le reste, c’est mon domaine… »
L’ULTRACRÉPIDARIANISME vient donc de l’ignorance de nos propres limites et de ce qui devrait fonder notre comportement au quotidien :
– L’écoute
– L’effort de recherche et de compréhension
– La prudence
– L’humilité
– La connaissance de soi
Le problème n’est pas l’opinion mais le défaut d’humilité intellectuelle et de notre disposition à l’admettre. Une personne ne peut se permettre de se consacrer à une tâche autre que celle correspondant à ses compétences. Le mot « supra » a été remplacé par « Ultra ». C’est donc un comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétence. L’Art de parler de ce que l’on ne connait pas !
La mode est de faire intervenir des personnes « de confiance » ou de « connaissance » sur des sujets dont elles n’ont aucune compétence, encore moins l’expérience, en faisant croire que ce sont des spécialistes. En faisant cela, ces personnes prennent leur « auditoire » pour des imbéciles en pensant qu’ils ne vont pas s’en rendre compte ! L’absurdité absolue ! C’est vrai que le ridicule ne tue pas !
On fait appel ici à un autre biais : L’effet de halo
Découvert par le psychologue américain Edward Thorndike dans les années 1920, l’effet de halo figure parmi les biais cognitifs les plus répandus. Il nous donne une première impression générale positive de quelqu’un, en raison de l’un de ses traits de caractère ou l’une de ses qualités. Dans la mesure où l’image que nous nous faisons de cette personne se base sur des informations partielles, cet effet peut nous conduire à la mettre involontairement sur un piédestal.
L’opinion de ce responsable est donc influencée par ses préférences académiques, mais avoir étudié dans cette école ne détermine pas nécessairement le degré de compétence du candidat. Ce biais inconscient peut se combiner à celui de confirmation d’hypothèses, lorsque l’on donne davantage de crédit aux hypothèses allant dans notre sens.
L’ultracrépidarianisme se rapproche aussi du biais cognitif bien connu dans le milieu de la psychosociale : l’EFFET DUNNING-KRUGER (David Dunning et Justin Kruger, publiés en 1999).
« Le mal invisible qui affecte la performance des équipes » (les Echos du 12 mai 2023)
C’est un biais de jugement qui correspond à la tendance qu’ont les personnes les moins compétentes dans un domaine donné à surestimer leurs compétences et, inversement, pour les plus compétentes à sous-estimer leurs compétences.
Les premières ont souvent un « EGO » surdimensionné, elles s’avancent remplies de certitudes sur un terrain qu’elles ne maîtrisent pas et entendent en remontrer à des personnes plus compétentes. Celles qui en sont atteintes ont donc, sans s’en rendre compte, une illusion de supériorité en évaluant leurs propres compétences au-dessus de la moyenne.
Etienne Klein résume : « Il faut être compétent pour se rendre compte que l’on est incompétent »
Dans son article sur le complotisme, Richard-Emmanuel Eastes, nous explique bien le phénomène : « On représente souvent ce biais cognitif par une courbe satirique illustrant justement l’ignorance de sa propre ignorance au niveau d’un premier maximum nommé “montagne de la stupidité”, qui précède une dépression nommée “vallée de l’humilité ».
Dès lors, on comprend bien comment l’ultracrépidarianisme est susceptible de nourrir le discours complotiste, par un double processus d’auto-surévaluation de sa propre capacité et de sous-estimation de la parole des experts.
Leur hypothèse fut qu’en observant une compétence présente en chacun à des degrés divers, la personne incompétente :
- tend à surestimer son niveau de compétence ;
- n’arrive pas à reconnaître la compétence de ceux qui la possèdent véritablement ;
- ne parvient pas à se rendre compte de son degré d’incompétence ;
- si une formation de ces personnes mène à une amélioration significative de leur compétence, elles pourront alors reconnaître et accepter leurs lacunes antérieures.
« L’ignorance engendre plus souvent la confiance que ne le fait la connaissance » Charles Darwin
Ce terme vise aussi les « TOUTOLOGUES », les experts en « tout », une personne qui prétend tout connaître.
Ou encore les « éditocrates » (Ou comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi, les éditocrates, Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle, Mathias Reymond). C’est un terme péjoratif qui désigne une personnalité omniprésente dans les médias, exprimant régulièrement son opinion sur des sujets dont elle n’est pas spécialiste. Elle se positionne en expert sans en avoir la légitimité
L’ouverture sur les autres permet souvent de prendre conscience de sa méconnaissance. En effet, il y a des choses que nous savons (méta-connaissance de la connaissance), des choses que nous ignorons que nous savons (La connaissance inconsciente),
Ce que je sais que je sais
Ce que je sais que je ne sais pas
Ce que je ne sais pas que je sais
Ce que je ne sais pas que je ne sais pas.
Lorsque la connaissance consciente s’étend, elle repousse l’ignorance consciente, qui croît au fur et à mesure que la connaissance progresse. Dans le même temps, l’ignorance inconsciente régresse. De ces 4 catégories, c’est la dernière (méta connaissance de sa propre ignorance) qui est la plus importante lorsque l’on souhaite s’exprimer sur un sujet donné.
Car lorsque l’on souhaite partager ses connaissances et que l’on veut le faire depuis une posture d’autorité, « la personne a le devoir presque moral d’avoir identifié très clairement ce qu’elle ignore, au minimum en bordure de son domaine de connaissance, et si possible, le plus loin possible au-delà ! »
Face à cette réalité, les dirigeants et managers doivent, selon l’EDHEC, apprendre à les déceler et ne pas confondre assurance et compétence, à gérer le phénomène et prévenir des impacts négatifs. Il faut donc faire appel aux compétences émotionnelles, c’est-à-dire aux Soft skills (l’esprit d’équipe, la créativité, l’autonomie, la capacité d’adaptation, la flexibilité, l’intuition, l’empathie…) mais aussi aux séances de coaching individuelles et collectives.
Bibliographie
Apelle, qui s’écrit aussi Apeles ou Apèles ou Apelles, en grec ancien Απελλής, est un célèbre peintre grec qui a vécu au IVᵉ siècle av. J.-C. Considéré comme l’un des plus grands peintres de Grèce, Apelle a vécu au IVe siècle avant J.-C. De lui, il ne reste aucune œuvre mais des mentions dans les écrits de Pline L’Ancien et de Lucien. Plus d’informations sur : Encyclopaedia Universalis.
Richard-Emmanuel Eastes Chimiste de formation, docteur en sciences de l’éducation et en philosophie, c’est un explorateur interdisciplinaire de toutes les formes de partage et de création des savoirs. Pédagogue, entrepreneur, consultant, conférencier, chroniqueur et essayiste, il exerce ses activités professionnelles aux interfaces entre l’éducation, la culture, les sciences et la philosophie.
L’ultracrépidarianisme face à l’humilité intellectuel : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/l-ultracrepidarianisme-face-a-l-humilite-intellectuelle/10351136.html
« You have been well called an Ultra-Crepidarian critic. » In. A Letter to William Gifford, Esq. from William Hazlitt, éd. John Miler, Londres, pp. 11–59. Le terme sera réutilisé quatre ans plus tard par un ami d’Hazlitt, Leigh Hunt, dans Ultra-Crepidarius: a Satire on William Gifford.
Justin Kruger et David Dunning ont publié les résultats de leur étude dans : « Unskilled and Unaware of It: How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments », In. Journal of Personality and Social Psychology, vol. 77, no 6, décembre 1999, p. 1121–34.
https://online.edhec.edu/fr/blog/comprendre-effet-dunning-kruger/ (EDHEC – blog 4 mars 2020)
Klein Étienne, Courts-circuits, Gallimard, 2023